Sunday, April 30, 2006

All Tomorrow's Parties


Les lendemains de nuit blanche sont des vitres pleines de buée. On envisage alors le monde différemment, comme d'intenses phases de contemplations hébétées, le coeur papillotant au rythme effréné de Murder Mystery, l'esprit incapable de s'accrocher à quoi que ce soit; on flotte, des pensées hypnoïdes affluent et giclent, nous couvrent de toute leur absurdité. La seule chose à faire est de se poser et de regarder le ciel qui distille ses nuances, bouche ouverte, les yeux mi-clos, comme si on était mort depuis un millier d'années.

Wednesday, April 26, 2006

Zauberer Braver Zaubert Fünfe FlaschN gösser Bier


Henry Darger

Les collections d'art brut respirent une folie furieuse et innocente bien plus terrifiante que tous les effets, les recherches, les nuances picturales visant à donner cette impression.

"L'art ne vient pas coucher dans les lits qu'on a faits pour lui; il se sauve aussitôt qu'on prononce son nom: ce qu'il aime c'est l'incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s'apelle"

Jean Dubuffet

Quand une centaine de visages distordus façonnés à partir de coquillages, de boîtes de bouffe, de bouts de bois, de terre, de cailloux, de verres, de peintures improvisées - et bien quand tout ce bordel te regarde, drapé dans un mutisme indécryptable, tu te sens dans la face B de l'humanité, dans l'inconscient collectif, dans ce qu'on aurait pu faire si on nous avait pas enfoncer un balais dans le cul dès notre plus jeune age pour notre soit disante intégrité. De la naïveté, de l'innocence, ce genre d'expo n'est pas criticable tout simplement parcequ'elle est authentiquement humaine, et qu'on ne peut pas expliquer pourquoi Darger faisait des kilomètres de dessins enfantins de petites filles dans des décors idylliques, ni pourquoi Amar a monté un aquarium multicolore flashy en 3d, ni pourquoi Van Genk faisait tous ces tableaux à partir de veleda et de stylos à bille. C'est comme ça, ces objets n'ont pas de causes, il n'y aura pas d'explications.

Au delà des formes illimitées que peuvent prendre ces oeuvres, il y a parfois une typographie spécifique, des bribes de langues et d'inventions, des juxtapositions, des collages qui m'ont faits étrangement penser à un ol' dirty bastard bourré à mort balbutiant If y'all coloured bitch ass faggot punk ass motherfuckers, déformant le langage à coups de batte.

Sunday, April 23, 2006

Baby, can you dig the light ?



















Edie Sedgwick

Ciao Manhattan ! est un cahier de brouillon aux pages cornées, arrachées, couvertes de poussières, d'alcool et de café, brulées par les cigarettes, à tel point qu'on a fini par le jeter. Après l'écriture spontanée, la musique spontanée, John Palmer tente le cinéma spontané, en tissant un patchwork d'images cartoonesques, de séquences plus ou moins compréhensibles, basées autour de la carrière d'Edie Sedgwick, de sa déchéance, des drogues dures, du climat malsain qui régnait dans la tranchée de la Factory et dans les délires résolument psychédélo-glam de Wahrol. On est plutôt face à un documentaire concept tourné sur le vif, un témoignage des 60s plus qu'à un véritable film, une oeuvre hybride underground majeure. Edie Sedgwick rayonne dans son alcoolisme: ses yeux noyés dans la vodka sont nostalgiques et désespérément beaux, des yeux absents enfoncés dans un paquet de chairs parfumées pour cacher leur état. Elle claquera une semaine après à 28 ans.

Thursday, April 20, 2006

Chinese Bombs



Hong-Kong

La société chinoise est une caricature du monde. Délivrés du culte de la personnalité de Mao, les Chinois sont rentrés de plein pied dans le culte de l'argent, l'idéal du nouveau riche tartiné à l'occidental. Un idéal fraîchement bâti et l'impression que le pays est passé de l'obscurantisme communiste à l'absolu libéral d'un jour à l'autre sans passer par des stades intermédiaires. Une sensation d'instabilité intégrale flotte, comme si les couches, les étages, les fils électriques, les pancartes publicitaires, les lignes blanches, les odeurs tenaces de cuisine de rue, allaient s'entremêler et s'écrouler dans un grand fracas, tout est si serré, si petit, si extrême. Des jungles abondantes et verdoyantes, bloquées par d'épais grillages, sont juste à coté de centres regorgeant d'hommes à toute heure du jour et de la nuit; la séparation affolante entre quelques coins stérilisés et la plus crasse des misères s'étendant comme la peste. Les Chinois en sont arrivés à vivre à tout moment dans l'excès: ils pourront travailler deux ans d'affilés, s'asseoir sur toute forme de vie sociale, de détente ou de n'importe quoi, prendre deux semaines de vacances et tout claquer dans une orgie monumentale de souvenir kitsch et d'hôtels luxueux, de bites à gogo ou de casinos au choix. Pour des gens qui y viennent, il reste un goût amer dans le plus pur genre de "lost in translation", quelque chose se cache sous les sourires mercantiles, mais on ne sait jamais quoi, peut être une lasse habitude acquise par automatisme, une sorte de lobotomie forcée par le gouvernement (dictature) pour vendre, ou alors un mépris cordial tellement impeccable qu'il en devient complètement irréprochable - ou encore simplement un réel sens du service. Pour ne froisser personne, on se contente de contempler sur le cul cette alchimie de vieux et de neuf, de sauvage et de parfaitement civilisé, comme si les deux formaient une boucle et finissaient par se rejoindre dans la folie des grandeurs.
Les foules sont si opaques qu'on ne distingue rien, on ne capte aucun visage, quelques mines vaguement maussades ou songeuses, des uniformes de collèges privés ou publics immédiatement classés selon l'état de leurs blasons, et cette odeur de bouffe inidentifiable, ces marchés gigantesques, ces centres commerciaux fashions, le tout plombé les 3/4 du temps par des pluies torrentielles et des chaleurs asphyxiantes. Les hommes sont emmurés vivants dans la cité, il y a beaucoup trop de monde pour une vie normale, il faut déjà essayer d'exister dans tout ce bordel organisé. On peut passer une vie sans que personne ne s’en rende compte. Face au néant, fonds toi à la masse ou disparaît. Et ferme ta gueule, tu vas te prendre un char de Deng en pleine face. A coté de ça, un charme très paradoxal se dégage, celui d’être dans un rêve ou un cauchemar, on ne sait pas trop, un peu perdu dans les brouillards matinaux des collines avoisinantes. Le sentiment que soit la vie doit être grande, soit elle ne doit pas être.

Saturday, April 15, 2006

Chelsea Girl

I've got a feeling I don't want to know

S'il n'est pas agréable de se prendre une veste, je pense que c'est encore plus dur d'en foutre une à une personne qu'on apprécie sincérement, sans pouvoir lui faire comprendre qu'on veut simplement rester tout seul. Je me trouve déja assez paumé comme ça. Je lui ai dit, elle m'a répondu que j'avais deux jours pour trouver une excuse valable.
C'était vraiment une belle nuit. Un ciel étonnement dégagé, pleine lune, la ville ronronnait, de petites brises douces coulaient sur les murs, l'ombre était de velour et la lumière nocturne parfaitement tamisée. On a marché 50 mètres en trainant les pieds, et à chaque mot que je disais, je clouais un peu plus le romantisme de l'endroit de ma pauvre bétise ahurie. Elle m'en voulait même pas, elle essayait juste de comprendre. Et il n'y a rien à comprendre. C'est comme une palourde qu'on aurait déja mangée. Je restais là, les bras ballants, rêvant vaguement d'un dernier petit verre de gin old lady's caché au fond de mon lit, rêvant d'être loin en fait, du coté du pôle nord, dans un igloo à me faire une fricassée de morse, emmitoufflé dans une fourure abondante. On s'est dit au revoir vite fait.

J'ai dû dormir dans les quatre heures plus tard, englouti dans les élans nihilistes de Surfer Rosa, des images me revenaient et j'avais envie de gerber.

Thursday, April 13, 2006

[ANIMAL COLLECTIVE]













Odilon Redon

Tuesday, April 11, 2006

Rollin' & Scratchin'

A l'aube d'une journée brûlante, tu craquais deux de tes petites allumettes pour allumer la première cigarette de la journée, le dos mi-voûté, les pieds dans le moite, protégé par une alcôve qui sentait la grillade et la bière, ultime vestige d'une sociabilité révolue. Le ciel était cramoisi, et du haut de ta tour d'ivoire, tu pouvais tranquillement observer ton îlot urbain, touffes chaotiques construites détruites et rénovées, un gâteau fait de couches mobiles, lourdes et fragiles, qui se mélangeaient comme un grand bazar d'Istanbul. L'échangeur d'autoroute était à un kilomètre, peut être deux à vol d'oiseau. Tout était ouvert, et la pièce se fusionnait avec les bruits et les odeurs de la ville, comme un oeil hybride émanant d'un corps bétonnesque pour mieux voir la mer. Tes nuits étaient bercées par le ronronnement des diesels et le clapotis des vagues sur les rochers, des nuits lysergiques de folie brute, tu restais des heures dégoulinant sur ta grosse machine à écrire, tactactactactac, et au petit matin, à l'aube naissante, tu descendais boire un énorme café noir chez Zappa. Il te demandait comment ça allait, tu hochais la tête, souriant. Cab Calloway avait creusé une niche dans le Juke Box de son petit troquet populaire, dérapant joyeusement sur Minnie the Moocher, les vitres étaient sales et des effluves d'épices et de rotissure venaient se brasser généreusement à celle du café et de la cigarette. Tu prenais le journal, et ta pipe bourrée d'un vieux tabac, tu fonçais vers le parc, tête baissée. Des enfants courraient partout braillant, crachant, jouant la vie et ses injustices éclatantes, eux n'avaient peur de rien, encadrés par des parents mi émus, mi agacés, ils continuaient. A l'entrée, les grilles vertes recouvertes par une fine couche de rouille, et au sol, un sable ocre poudreux, tu t'allongeais sur un banc et tu dormais, le journal dans la nuque en guise d'oreiller, le chant des oiseaux comme berceuse. Dans tes rêveries instables (les bancs ne sont pas larges), tu te promenais dans des limbes grotesques, un carnaval psychotique au rythme heurté regroupant les trainards de tout poil, l'air encore endormi, sur un pont de Brooklyn vacillant sous le poids de toutes ses paupières d'hommes fatigués. Tu ameutais du monde, ça allait barder ! Pour quoi, ça, c'était pour après, les revendications sociales, c'était pas ton truc, tu préférais les grands coups du lapin loufoques. Des corps se tiraient des courants chauds du Gulf stream en rampant sur les berges de la ville, ils sifflotaient des airs d'opéra - et il y avait Martin Luther King ! - avides d'action, ils étaient pâles et pleins d'eau, mais qu'importe. C'était la grande parade rebondissante de l'année, les majorettes gloussantes des 4 juillets prolixes pouvaient se foutre leurs bâtons bien profond, une armée de chair en loque arrivait. Alors, tu te retournais rayonnant vers l'assemblée, et tu criais avec entrain "je paye la tournée les gars !". Bzzzz.
Un môme fouillait avec une branche dans ton nez. La mère accourait, effondrée d'excuses, suppliant de pardonner le petit, brassant du vent et de la poussière entre ses dents blanches et sa langue pulpeuse, tu dormais encore à moitié. Les peintres continuaient de tartiner leur planche, sous la voûte d'une allée d'arbres centenaires, plus vivants que les couples septuagénaires grassouillets qui attendaient et philosophaient, l'impression d'avoir acquis une belle sagesse, les pauvres, ce n'était que de l'ennui. Ta carcasse se posait sur un banc de la bibliothèque dans la demie heure, un petit plongeon glacé chez Burroughs, une rigolade avec Camus, sa peste et son étranger, un dernier vers au bout de la nuit avec le médecin des Enfers, hop tu tentes de séduire sur le tas une jeune stagiaire qui te racle comme une proéminence de peinture sèche sans la moindre pitié.

Sunday, April 09, 2006

Now I Wanna Sniff Some Glue


Dupontel a créé de toute pièce un contre-cinéma français burlesque et trash. Partant d'un scénario décousu et ridicule basé sur un gros quiproquo, il rebondit, trébuche, se relève, derrière et devant sa caméra, le n'importe quoi n'a pas de limites. Comme dans un Bernie, quand le père clodo et le fils fraichement sorti de "l'orphelinat", viennent chercher la mère ex-femme dans un manoir, empalant à coups de pelle aiguisée sur la bordure de l'autoroute, toute une brave famille haute bourgeoisie qui lit Libération. Des petits dialogues délicieux aussi, "je te donnerai n'importe quoi, 5000, 10000 euros si tu veux, laisse moi partir...."(petit sourire) "oui...mais je préfère t'enculer". "Enfermés dehors", dernier film du bonhomme, s'inscrit dans un monde cartoonesque au possible, une caméra qui sent fort l'éther, et un scénario toujours aussi con: Dupontel en éternel sdf trouve un habit de flic et décide de l'utiliser pour aider une actrice porno à récupérer la garde de son gosse. Moins marrant que Bernie, il reste dans la même veine, avec en plus une petite critique picotante du monde du business. Le film ne se veut pas du tout sérieux, il ne faut pas y voir une déformation manichéenne de la réalité, mais plutôt une blague à part, un trip prolongé sur 1h 30, qui s'en être un chef d'oeuvre, offre des situations énormes et est réellement en marge de toutes les bouses actuelles du cinéma humoristique français.

Friday, April 07, 2006

[SET ME FREE]

A force de nager dans des stéréotypes et autres répétitions bravement et fièrement recopiées, je finis par m'en imprégner assez profondemment. Si bien que tout ce que je commence à écrire "sonne comme..." et quand ayant achevé un paragraphe, je relis le tout, je me pisse dessus, riant jaune comme un démembré, mi déséspéré, mi amusé par mes personnages vu et revus, par mes situations rabachées, et par une ambiance factice qui donne l'impression d'un bon vieux téléfilm du dimanche, une fumisterie malhonnête, je ne me donne même plus la peine de corriger, je supprime.

En écoutant "The world according to RZA", je me suis bien dit que je pourrais écrire une nouvelle avec des poufiasses bien blondes, des pines énormes, des geyser de sperme et des râles rauques prévenant des orgasmes impatients, le tout tartiné de poèsie. Une grosse bite bien grasse et une chatte bien poilue dans une folle partie de in-out in-out sur le tapis d'un septuagénaire aigri, et je te pisse à la raie du bon goût. (ndlr: Il se peut que la musique de Rza ait une mauvaise influence sur mon imaginaire inconscient. Désolé)

En marchant dans la rue, on croise dix, vingt, trente fois la même personne, gonflée d'un hélium de vanité, la bétise de l'homme fait un contre poids non négligeable, il reste sur terre. Alors que les mâles en rût pavanent, les femelles se perdent dans des glousseries incontrolées qui dérapent dans des déclarations moites "je t'aime mon coeur, mon chéri, mon sucre, blablablablabla, la vie sans toi, au non, me quitte pas" bloup, noyée dans la moiteur. Un bouche à bouche languissant, la damoiselle est sauvée et hop, ça recommence.

Le fantasme de G. est d'être noble sous l'ancien régime pour enfiller de tout toute la journée, être gras, immoral, antirépublicain, pouvoir faire arrêter des gens avec une lettre de cacher, vivre sa vie comme un Sade grivois et talentueux, du libertinage face au néant, il s'en lasserait je pense. En attendant, il se trimballe avec une carte de l'ump dans son portefeuille et emmerde les valeurs françaises, et s'il vous aime bien, vous aurez le droit à une petite blague acide, plus ou moins raciste ou homophobe. Le bonhomme vit une vie entière au 3ème degrès, et c'est son charme le plus fou.

Le disc over est un bouiboui un peu minable, les néons bleus grésillent comme des criquets et menacent de claquer à n'importe quelle seconde. Mais on y trouve de bons conseils. Le mec au comptoir est petit et n'a pas vu le soleil depuis la sortie du premier Beefheart, il caresse ses vyniles amoureusement et je n'ai jamais réussi à le pièger question musique. J'y passe quand l'air du temps est à l'ennui et à l'exaspération, j'y échange mes problèmes et dix euros contre deux cds.

Thursday, April 06, 2006


Our misery runs wild and free
and I knew, the fire and the ashes of his grace
And I wait staring at the northern star
I'm afraid I won't lead you very far

Hole - Celebrity Skin

Tuesday, April 04, 2006

The Wrong Coat for You Mt. Heart Attack

Cet album est une apocalypse rouge. Une voix fantomatique hantée par le blues, frappée de plein fouet par une batterie chirurgicale et des guitares grinçantes, des lignes de basse minimalistes, le nouveau Liars est un chef d'oeuvre de tribalité. Chaotique et décharné, une véritable tempête guerrière qui observe d'une butte un monde dévasté. Sans nostalgie, les Liars préférent la terre rouge et la nudité d'une ville, pompant l'énergie de la pagaille urbaine pour la restituer brutement en musique.

Monday, April 03, 2006

[MORNING WONDER]

Tomas était un vieillard bien défraichi qui avait vu passé sous son nez 75 années d'humanité. Il vivait dans une campagne boueuse, une petite bourgade du nom de Flarlish Town située à l'extrème Nord du Maine. En hiver, tout était recouvert par une large couche de neige, les routes étaient bloquées, tout le monde s'en foutait. Un brouillard épais succédait à la neige, un brouillard de guerre, car la région était en guerre, en guerre contre le reste du monde, mais une guerre tacite, une hostilité officieuse à la vie. Combien de conducteurs avaient terminé leur vie dans ce brouillard, happés dans ses volutes, ils dérivaient lentement vers le bord gravilloneux, glissaient et plus rien. Ils rampaient dans les fossés à présent, et peuvent toujours crier, personne ne les entend plus. A l'entrée de la ville, une lourde pancarte rongée par les pluies acidifiées et l'ennui, annonçait un "welcome to Flarlish Town. Have a nice trip". La ville était morte depuis longtemps, et Tomas restait toute la journée durant cloitré dans sa maison. Il buvait de grandes rasades de Jack Daniel's, écrivait un peu, fumait sa vieille pipe. Sa femme était morte, et il était désormais époux avec la mort, qui imprégnait chaque mur de son odeur si humaine de transpiration rance et d'un alcool à vous faire perdre la raison. La peinture verte de sa chambre s'était écaillée, effritée, on voyait désormais un mûr jauni par l'humidité. Il était dans l'antichambre d'un fabriquant de cercueils malhonnête, dans les limbes, perché au dessus du néant. Il avait refusé de regarder derrière toutes ces années, il avait brulé toute ses photos, reniait sa jeunesse et se complaisait dans une sagesse fielleuse et courbaturée. Des jours, il aimait à jouer avec son gros magnum, se dire que sa vie était là, dans sa main droite, il faisait alors tourner la roulette comme un dément s'esclaffant de la dynamique de l'objet, soudainement, il claquait un grand coup le canon sur le rebord de la table, se le foutait sur la tempe, non, dans la bouche, non, sur le coeur et appuyait. Rien jusqu'ici. Il avait un fils, courant entre les petits boulots sur ses jambes de 20 ans, qu'il avait revu deux ans auparavant. Et il se trouvait qu'il était con comme un manche. Un petit homme rempli de prétention et d'une ambition bourdonnante, propre sur lui, séducteur raté et mauvaise haleine. Leur dernier échange s'était achevé deux ans de cela, le fils était parti hurlant de mépris sous des insultes fusant droit. "Espèce de pauvre petit enculé ! Alors comme ça, tu veux mes tunes ? Tu veux ma bicoque pourrie pour la vendre au premier couple de paysan passant à n'importe quel prix ? Tu es plutôt épais, dans ton genre, intellectuellement épais ! Va baiser tes putes et laisse moi tranquille, espèce de bouillie d'eunuque bon marché !". Il avait bien rigolé, sorti d'une cuite particulièrement persistante, il déambulait sur le perron et lança une dernière bouteille en direction de la voiture de son fils, déja loin, pris son inspiration et cracha un énorme molard vers les cieux. C'était les bons vieux jours. Désormais, il s'ennuyait ferme, et il soupçonnait un diable de maintenir sa vieille carcasse sous tension en guise d'amusement. A moins que ce soit lui, le diable, il n'en savait rien, la deuxième version lui plaisait bien. Please allow me to introduce myself, i'm a man of wealth and taste...
Il pris un stylo, écrivit deux-trois lignes fatiguées, s'installa dans la véranda, clac, clic, splash, un mélange sanguilonent de cervelle et d'os déchiquetés s'étalèrent sur un sol confus, la pluie battait, les arbres se voutaient sous la tyrannie d'un vent musclé, et la dernière vie s'en alla.

Sunday, April 02, 2006

but I shot a man in Reno just to watch him die

Acculé à un mur poussiéreux du hangar 5, par un après midi typique de la Californie du Sud, écrasant de chaleur et de bétise, il nageait depuis près de sept heures dans sa transpiration, fiévreux jusqu'à l'os, il avait nettoyé quelques bricoles ce matin là, mais sans conviction. Il était chargé en partie de l'entretien des avions ainsi que septs autres mécanos, un entretien au final sommaire vu le peu d'avions et la relative simplicité de ceux ci à cette époque. Et les pilotes pouvaient bien s'écraser n'importe où, lui, il s'en foutait, il était pas patriote pour un clou et il détestait ces petites teignes qui voulaient que le monde soit à leurs pieds, ces héros de la nation, qui nous avaient sauvés en atomisant le Japon quelques années de cela. Quand on vînt lui dire de se bouger le cul, il râla et eut un mal fou à se relever, les vertiges l'ayant pris, il suivit ce supérieur quelconque la démarche incertaine et l'air un peu déphasé. Il avait soif, et n'aurait pas dit non à un petit détour par le bar à l'extérieur de la base, mais les autorités l'avaient rattrapés, il allait devoir faire semblant de faire quelquechose. En rentrant dans le hangar, il vit Dexter, un vieux qui ne disait rien, trifouiller dans une caisse à outils.
- Dexter, t'aurais pas un truc à boire ?
- mm...nan
- même pas de la flotte ?
- nan je t'ai dit, fais pas chier.
Il soupira. Tant pi, il en avait assez pour aujourd'hui. Le fait de rester neuf heures par jour dans des hangars bouillant consituait déja pour lui une justification de ses revenus. Il sortit par l'arrière, passa par un trou du grillage et rejoignit tranquillement la ville. Il était cinq heures et le soleil était encore haut. En marchant au bord de la nationale 105, il croisa un camion militaire.
- espèce de couille molle, retourne chez ta mère ! Feignasse !
C'était la grande mode chez les militaires. Agresser les errants qu'ils croisaient par plaisir. Il avait encore son bleu de travail, mais n'était pas crédible, les cheveux gras et la face rougie par le soleil, on pouvait largement croire à un vieil alcoolique. Il arriva enfin, s'accouda au bar et demanda une bière bien fraîche. Il y avait peu de monde, un mec louche au fond qui ne bougeait pas, une clope presque entièrement consummée au bec, deux vieux qui jouaient aux échecs, prenant le soleil installés à coté des vitres, le patron qui parlait avec une serveuse. Ici aussi, il faisait une chaleur étouffante. On attendait la nuit pour dormir, en attendant, on comatait ramolli, un filet de bave au coin de la bouche. La route qui passait à coté était recouverte d'une couche épaisse de gaz laissés en suspension par les voitures, le paysage était surréaliste, on se serait crû au porte d'un enfer physique et intellectuel, dans lequel aucun homme ne peut rester digne, obligé de se recroqueviller et de se terrer dans l'ombre. On attendait la fin de l'été ou la mort. Les gens d'ici avaient ça sur le visage, un désespoir suintant sans issu. Si l'Etat de Californie n'avait pas été régi par un règlement strict, ils auraient sûrement ouvert tous les estomacs des touristes passant, et les auraient remplis de sable chaud et caillasse.
Lui, il sentait ça, il descendit sa bière d'un trait, paya et sortit, comme il était rentré, dans le silence le plus total.