Monday, April 03, 2006

[MORNING WONDER]

Tomas était un vieillard bien défraichi qui avait vu passé sous son nez 75 années d'humanité. Il vivait dans une campagne boueuse, une petite bourgade du nom de Flarlish Town située à l'extrème Nord du Maine. En hiver, tout était recouvert par une large couche de neige, les routes étaient bloquées, tout le monde s'en foutait. Un brouillard épais succédait à la neige, un brouillard de guerre, car la région était en guerre, en guerre contre le reste du monde, mais une guerre tacite, une hostilité officieuse à la vie. Combien de conducteurs avaient terminé leur vie dans ce brouillard, happés dans ses volutes, ils dérivaient lentement vers le bord gravilloneux, glissaient et plus rien. Ils rampaient dans les fossés à présent, et peuvent toujours crier, personne ne les entend plus. A l'entrée de la ville, une lourde pancarte rongée par les pluies acidifiées et l'ennui, annonçait un "welcome to Flarlish Town. Have a nice trip". La ville était morte depuis longtemps, et Tomas restait toute la journée durant cloitré dans sa maison. Il buvait de grandes rasades de Jack Daniel's, écrivait un peu, fumait sa vieille pipe. Sa femme était morte, et il était désormais époux avec la mort, qui imprégnait chaque mur de son odeur si humaine de transpiration rance et d'un alcool à vous faire perdre la raison. La peinture verte de sa chambre s'était écaillée, effritée, on voyait désormais un mûr jauni par l'humidité. Il était dans l'antichambre d'un fabriquant de cercueils malhonnête, dans les limbes, perché au dessus du néant. Il avait refusé de regarder derrière toutes ces années, il avait brulé toute ses photos, reniait sa jeunesse et se complaisait dans une sagesse fielleuse et courbaturée. Des jours, il aimait à jouer avec son gros magnum, se dire que sa vie était là, dans sa main droite, il faisait alors tourner la roulette comme un dément s'esclaffant de la dynamique de l'objet, soudainement, il claquait un grand coup le canon sur le rebord de la table, se le foutait sur la tempe, non, dans la bouche, non, sur le coeur et appuyait. Rien jusqu'ici. Il avait un fils, courant entre les petits boulots sur ses jambes de 20 ans, qu'il avait revu deux ans auparavant. Et il se trouvait qu'il était con comme un manche. Un petit homme rempli de prétention et d'une ambition bourdonnante, propre sur lui, séducteur raté et mauvaise haleine. Leur dernier échange s'était achevé deux ans de cela, le fils était parti hurlant de mépris sous des insultes fusant droit. "Espèce de pauvre petit enculé ! Alors comme ça, tu veux mes tunes ? Tu veux ma bicoque pourrie pour la vendre au premier couple de paysan passant à n'importe quel prix ? Tu es plutôt épais, dans ton genre, intellectuellement épais ! Va baiser tes putes et laisse moi tranquille, espèce de bouillie d'eunuque bon marché !". Il avait bien rigolé, sorti d'une cuite particulièrement persistante, il déambulait sur le perron et lança une dernière bouteille en direction de la voiture de son fils, déja loin, pris son inspiration et cracha un énorme molard vers les cieux. C'était les bons vieux jours. Désormais, il s'ennuyait ferme, et il soupçonnait un diable de maintenir sa vieille carcasse sous tension en guise d'amusement. A moins que ce soit lui, le diable, il n'en savait rien, la deuxième version lui plaisait bien. Please allow me to introduce myself, i'm a man of wealth and taste...
Il pris un stylo, écrivit deux-trois lignes fatiguées, s'installa dans la véranda, clac, clic, splash, un mélange sanguilonent de cervelle et d'os déchiquetés s'étalèrent sur un sol confus, la pluie battait, les arbres se voutaient sous la tyrannie d'un vent musclé, et la dernière vie s'en alla.

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