Sunday, April 02, 2006

but I shot a man in Reno just to watch him die

Acculé à un mur poussiéreux du hangar 5, par un après midi typique de la Californie du Sud, écrasant de chaleur et de bétise, il nageait depuis près de sept heures dans sa transpiration, fiévreux jusqu'à l'os, il avait nettoyé quelques bricoles ce matin là, mais sans conviction. Il était chargé en partie de l'entretien des avions ainsi que septs autres mécanos, un entretien au final sommaire vu le peu d'avions et la relative simplicité de ceux ci à cette époque. Et les pilotes pouvaient bien s'écraser n'importe où, lui, il s'en foutait, il était pas patriote pour un clou et il détestait ces petites teignes qui voulaient que le monde soit à leurs pieds, ces héros de la nation, qui nous avaient sauvés en atomisant le Japon quelques années de cela. Quand on vînt lui dire de se bouger le cul, il râla et eut un mal fou à se relever, les vertiges l'ayant pris, il suivit ce supérieur quelconque la démarche incertaine et l'air un peu déphasé. Il avait soif, et n'aurait pas dit non à un petit détour par le bar à l'extérieur de la base, mais les autorités l'avaient rattrapés, il allait devoir faire semblant de faire quelquechose. En rentrant dans le hangar, il vit Dexter, un vieux qui ne disait rien, trifouiller dans une caisse à outils.
- Dexter, t'aurais pas un truc à boire ?
- mm...nan
- même pas de la flotte ?
- nan je t'ai dit, fais pas chier.
Il soupira. Tant pi, il en avait assez pour aujourd'hui. Le fait de rester neuf heures par jour dans des hangars bouillant consituait déja pour lui une justification de ses revenus. Il sortit par l'arrière, passa par un trou du grillage et rejoignit tranquillement la ville. Il était cinq heures et le soleil était encore haut. En marchant au bord de la nationale 105, il croisa un camion militaire.
- espèce de couille molle, retourne chez ta mère ! Feignasse !
C'était la grande mode chez les militaires. Agresser les errants qu'ils croisaient par plaisir. Il avait encore son bleu de travail, mais n'était pas crédible, les cheveux gras et la face rougie par le soleil, on pouvait largement croire à un vieil alcoolique. Il arriva enfin, s'accouda au bar et demanda une bière bien fraîche. Il y avait peu de monde, un mec louche au fond qui ne bougeait pas, une clope presque entièrement consummée au bec, deux vieux qui jouaient aux échecs, prenant le soleil installés à coté des vitres, le patron qui parlait avec une serveuse. Ici aussi, il faisait une chaleur étouffante. On attendait la nuit pour dormir, en attendant, on comatait ramolli, un filet de bave au coin de la bouche. La route qui passait à coté était recouverte d'une couche épaisse de gaz laissés en suspension par les voitures, le paysage était surréaliste, on se serait crû au porte d'un enfer physique et intellectuel, dans lequel aucun homme ne peut rester digne, obligé de se recroqueviller et de se terrer dans l'ombre. On attendait la fin de l'été ou la mort. Les gens d'ici avaient ça sur le visage, un désespoir suintant sans issu. Si l'Etat de Californie n'avait pas été régi par un règlement strict, ils auraient sûrement ouvert tous les estomacs des touristes passant, et les auraient remplis de sable chaud et caillasse.
Lui, il sentait ça, il descendit sa bière d'un trait, paya et sortit, comme il était rentré, dans le silence le plus total.

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