Fêtes sanglantes & mauvais goût, compilation d'articles de Lester Bangs est un "truc" véritablement, qui traîne sur le bureau ou a coté du lit, vaguement déplaisant, une couverture hideuse tout droit sortie de quelconques trips acidifiés des sixties -noir/rose sur jaune sur bleu fluo, en bref un monument de bon goût- tellement moche qu'elle en a interpelé ma pauvre mère passant par là. En dehors de l'aspect du bouquin, la plume de l'homme se révèle incroyable. John Morthland, un ami et collègue de Bangs capte bien le truc "Pour avoir partagé un bureau avec Lester, je me souviens être resté assis-là, très impressionné, à le regarder écrire, littéralement, aussi vite qu'il pouvait taper. Bien entendu, cela donnait parfois des textes médiocres, ou aussi bien exceptionnels, et je peux le revoir aussi affalé sur sa machine à écrire, cherchant quoi dire ensuite, mais surtout comment plier le langage à sa volonté." Et en effet, sur certains passages, l'écriture de Lester Bangs se retrouve véritablement déliée, les sensations, les émotions et les idées sont mises à nues via une gymnastique instable et inquiètante qui les auraient assommées en vol pour les recoler ensuite bien soigneusement sur la feuille, le tout restant cohérent. Bangs est l'ultime témoin de la grande fanfare pétarrrradante et assourdisssssssante qu'est la culture rock- témoin, mais pas dupe - sa littérature est saignante et grinçante. Terriblement agaçante aussi, le bonhomme jugeant un disque nullissime, quand deux semaines plus tard, il reprend tous ces arguments pour en faire un chef d'oeuvre, et nous au milieu, un air niais et ravi sur la face et l'envie de tordre ce foutu bouquin pour qu'il crache défininitivement quelques uns de ses secrets et qu'il vomisse sa médisance crasse, pour triompher de cette couverture ignoble, pour le presser comme une éponge et boire les quelques gouttes du substrat jaunâtre et accariatre d'une époque que nous, les-sales-morveux-aux-dents-blanches des années 2000 abrutis à coup de ciblage marketing en tout genre, on n'aura surement plus l'occasion de vivre, bardés de ceintures de diplômes pour aller à la guerre de l'emploi, costard sur le dos, sourire large angélique, scénic au garage, une femme 2 enfants, consommateur consommé tirant sur le Bourgogne une fois tous les dimanches, sur sa nana tous les 3 jours et pi merde je bande plus, alors comme le Bourgogne, de toute façon, ça fait longtemps que j'ai plus pris mon pied au lit, elle est gentille mais dix ans de vie commune, ça commence à faire sec et tout le blablatage de rigueur...à juste 30 ans, 40 ans comme ça et c'est la retraite, ouf, on est sauvé de la vie. Le constat est bien caricatural, mais pas faux néanmoins, je me fais chier, on se fait chier, nous nous faisons chier dans la vie concrète, un peu obligé de vivre par procuration dans les années sombres de fin de lycée, et n'ayant pas les couilles de claquer la porte à la gueule de tout ce bel enseignement par la suite. Tout ça pour revenir d'une digression du fond du puit à Lester Bangs, le
whap-pam-pam des machines à écrire, mort au darvon dans la trentaine, laissant tout son petit monde sur le cul face à de rougeoyants petites pépites, comme ses soirées avec les Angels, ses hivers dans la cambrousse, sa jeunesse, mais aussi ses interviews drôlatres avec un Lou Reed cliniquement mort-vivant, concervé dans une bouteille de Scotch, un Hendrix lui bel et bien mort, portant au pinacle un Beefheart, une Patti Smith ou une Nico, au bûcher les autres, Jagger boiteux et consort, un ragoût de tout dont on se crame joyeusement la langue. Merci pour tout mec.