Tuesday, April 17, 2007

PLEASE PLAY BY THE RULES

Il est 4h30 du matin. J’ai du dormir quatre heures il y a pas mal de temps. Alors tu sais, ces moments suspendus, ce manque de fluidité, quand tu loupes une seconde, que ton regard vide se pose nulle part. Les bornes kilométriques défilaient et ce gros sac de chauffeur dérivait doucement sur la droite, se réveillait sur la ligne, et repartait mordre à gauche. Je rêvassais tranquillement que ce foutu bus chauffé comme l’enfer déborde trop et aille se renverser dans un fossé quelconque, juste pour tuer le temps. Je bloquais simplement ma tête entre le bord du dossier et la vitre, et les vibrations s’occupaient de me démonter le système nerveux. Il y avait le soleil qui se couchait quelque part toujours plus loin. Ces sales patelins ouvriers pleins de Hlm ressemblaient à des sculptures tout à fait abstraites, noyé dans les cycles d’accords sans fin et la disto traînante de Methodrone. L’autre fils de pute de l’autre coté du couloir a levé les yeux de sa console pour dire un truc du genre, si on travaille pas, voila comment on finira. Fils de pute. Un autre petit mec prend un bouquin de Tolstoï que j’avais embarqué et commence à lire la préface en faisant mine d’être intéressé. Il m’a tué. La préface de ce bouquin est le truc le plus indigeste et incompréhensible et chiant que j’ai eut l’occasion de lire. Il me l’a quand même rendu au bout de 5 minutes.

(…)

Bon, je veux emmerder personne. Je tiens juste à faire un commentaire sur Astral Weeks, que j’écoute actuellement, et que j’ai pu écouter jusqu’à trois fois la même journée, juste après cet hiver glacé horrible. Les petites villes de l’est en hiver, tu sais, il n’y a que des boites avec de la musique techno pourrie et des connards. Alors les gens restent chez eux. Certains jouent à la console, moi je n’aime plus trop ça. Alors je buvais du whiskey et je fumais plein d’herbe. Je n’avais pas tant d’amis que ça, je n’en ai toujours pas beaucoup d’ailleurs. Je n’en cherchais pas. Je séchais pas mal d’heures de cours et je restais chez moi. Les mois sont passés. Astral Weeks est arrivé avec le printemps.
Il est cette énergie vitale, cette chose quasi-magique qui fait que le monde tourne encore, que les gens ne se sont pas tous flingués. Une chose qu’on ne retrouve qu’à un état extrêmement dilué ailleurs. Je ne connais pas Van Morisson, les années l’ont rattrapées, il a l’air usé sur les photos. Mais cet homme a réellement été traversé par quelque chose de sacrément puissant, qu’il a réussi à transformer en son. Astral Weeks est une sensation. Celle que tu as quand tu reviens d’une soirée terrible et que le soleil se lève, qu’il fait désormais tout à fait chaud et que tu pourrais bien dormir sur un banc. Ce bonheur simple d’être encore en vie.

(…)

Le bureau de tabac près de chez moi à fermer, et avec lui sa faune a disparu. Peut être que la petite vieille qui me disait seulement « tu veux quoi…un Lucky ? c’est ça, tu veux un Lucky ? », eh bien, peut être qu’elle est morte. Peut être que c’est le grand gars maladroit et bonhomme. L’homme à la casquette de marin qui traînait en face a disparu aussi. Il avait une gueule pas possible celui là. Il zonait autour d’un arbre, il ne faisait même plus semblant de s’occuper. Il regardait juste tous les passants, le dos cassé, avec son air de pervers. Et les gens s’écartaient. Et il continuait à fumer ses cigarettes.